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La lettre

De lumières surgissant de l’ultra-noir.

Les schistes du Roz Du. Gravure sur bois rehaussée d’encre de chine, planche tirée à part de l’album de l’Armor à L’Arré. shd KGA. Tous droits réservés.

9 décembre 2016,

De lumières surgissant de l’ultra-noir.

Bonjour à toutes et tous,

Pour commencer, une petite leçon de breton, avec mes excuses à ceux qui connaissent déjà ce détail…

En breton, le mois de novembre se dit Miz du, littéralement : le mois noir.

Et décembre alors, me demanderez-vous ? Et bien, c’est Kerzu : le très noir !

Saisissante manière qu’a cette langue d’évoquer la rudesse de ces jours sombres, qui ne cessent plus de décliner, souvent assombris, qui plus est, par les dépressions atlantiques automnales et leurs bas cieux noirs.

Cette année mis du et kerzu sont lumineux en péninsule armoricaine. Aussi lumineux que des toiles noires de Soulages ! Les journées de soleil se succèdent, certaines froides et d’autres douces, venteuses ou calmes, peu importe, nous récoltons notre dose quotidienne de lumière. L’hiver n’en paraîtra que moins long.

 

Lumière que l’on trouve aussi, si belle, dans l’univers de Kerga. La saison étant propice aux séances de travail à l’ordinateur, je continue mes recherches et la rédaction de textes sur ce peintre, dont j’apprécie le travail et pas uniquement par devoir filial !

Je recopie actuellement quelques dizaines de cartes postales échangées pendant la jeunesse de l’artiste, entre sa mère et sa grand-mère, puis entre des proches de la famille. Pourquoi ? Pour essayer de valider, d’argumenter ou de corriger les intuitions que j’ai sur les conditions matérielles et affectives dans lesquels a grandi sa fratrie. Ces cartes postales sont un peu l’équivalent de nos modernes SMS… quelques mots écrits à la hâte pour accuser réception d’un colis, pour annoncer son heure d’arrivée ou fixer un rendez-vous. On abrège, on fait vite pour ne pas rater la levée, on colle une semeuse verte, dans la boîte et, quelques heures après, le destinataire en prend connaissance.

Les cartes sont tamponnées au bureau de départ et à celui d’arrivée : on découvre qu’un courrier posté le matin à Roscoff arrive dans l’après-midi à Carantec, le mot envoyé de Londres arrive le jour suivant à Quimper !

Si certaines cartes n’apportent pas d’informations importantes, je glane çà et là matière à argumenter pour mon prochain chapitre, en attendant d’aller chercher et trouver, là ou ailleurs, d’autres informations. Ce travail de recherche est passionnant mais je ne sais pas encore jusqu’où il me mènera & je ne suis pas sûr d’avoir pleinement conscience de l’ampleur de la tâche !

A très bientôt

Etienne

PS : je découvre ce soir que mes grands oncles Kergariou ont appris a nagé à l’été 1909… En voilà une information capitale ! Ils avaient 10 et 11 ans.

copie d’une carte envoyée par Lizzie de Kergariou à sa mère partie pour un court séjour à Londres.

19th August (1909)

My dear Mamma. Expected more news of you. Am not sure of your address. Glad you got over so quickly, lucky you went before the storm. Hope you have got over fatigue. All well here. X & C know how to swim now. Had a flying visit of Henry alone last week & yesterday Edgar came.

love & Kisses from all & kind souvenir to Charlie your afft daughter

Lizzie

Ma chère maman.

Attendais plus de nouvelles de ta part. Ne suis pas sûre de ton adresse. Heureuse de savoir que tu as pu traverser si vite, quelle chance que tu partes avant la tempête. Espère que tu es reposée maintenant. Tout va bien ici. X(avier) & C(harlie) savent nager désormais. Reçu une visite rapide d’Henry, venu seul, la semaine dernière & Edgar est venu hier.

Baisers de nous tous & mon tendre souvenir à Charlie. Ta fille, affectueusement.

Lizzie

La lettre

« Les Émigrants »

Dessin préparatoire au livre sur le Tro Breiz préparé par Kerga et Fanch Gourvil mais jamais publié. Tous droits réservés.

1er décembre 2016,

Bonjour à toutes et à tous,

Pas vraiment une lettre ce matin, juste l’envie de partager avec vous ce poème, que je viens de recopier, tout plongé que je suis dans le projet de livre sur mon grand-oncle Charlick.

Les Émigrants

Leurs yeux lourds de sel

et leurs mains friables

on nage en choeur tant qu’il fait jour

criait le maître des épaves

on suit la pente

on se souvient des bords de route

et de l’ouvrage

et de ces faubourgs aboyeurs

où les femmes savent attendre.

Armel Gourvil

(vers… 1953 !)

Armel fut le compagnon de route de Kerga sur le chemin du Tro Breiz en 1945.

A très bientôt

Etienne

La lettre

Il était une fois…

Louise la fée et la sorcière Réalité.


Il était une fois, dans un joli château situé au fond d’une calme ria, un comte et une comtesse qui fêtaient la naissance de leur deuxième fils. Ils invitèrent pour le baptême leurs nombreux amis et leur large famille ; parmi elle était une bonne fée, qu’ils choisirent pour devenir la marraine de leur enfant. Cette fée, portant le doux prénom de Louise, était belle, riche, généreuse et aimante. Quelques années auparavant, elle avait choisi d’épouser un marquis, pauvre mais très gentil, qu’elle avait eu à coeur de rendre heureux.

Tous droits réservés.

Comme le beau salon du château n’était pas très grand, le comte et la comtesse s’abstinrent de convier la triste sorcière Réalité, parente éloignée de leur maison ainsi que de toutes les familles qui vivaient dans la contrée. Cette sorcière, du fond de son antre misérable, passait son temps à dessiner en noir le futur de tous les gens qui ne la regardaient pas en face. Or le comte et la comtesse ne l’aimaient pas du tout, évitaient de la croiser et lorsque cela arrivait, ils détournaient le regard vers quelque chose de joli : paysage rieur de la campagne, charmant ornement d’une maison en ville, puis trouvaient bien vite quelques gens heureux de vivre là pour discuter avec eux… et Réalité passait, fulminant contre ces belles gens, envers elle seule dédaigneuses.

Or, comme Réalité cheminait ce jour-là sur le chemin de halage, en contrebas du château, en quête de quelques tourments à faire aux distraits qui ne la salueraient pas, elle entendit les bruissements heureux qui s’échappaient des fenêtres ouvertes sur le vallon verdoyant en cette belle fin de journée d’été. Elle vit les calèches de tant de gens de sa parenté que, furieuse de n’avoir pas été invitée à une fête, elle entra sans se faire annoncer.

Le tableau touchant qui s’offrait à elle aurait pourtant pu l’adoucir : des enfants jouaient, les adultes se pressaient autour du berceau, promettant un bien beau destin au nourrisson. Certes il ne deviendrait pas, comme son grand frère, le nouveau comte du domaine, mais il avait déjà reçu l’assurance de parler plusieurs langues : le français, l’anglais – don de sa grand mère britannique – et le breton – don de la vieille Jeanne-Marie, la servante dévouée.

La sorcière franchit le seuil de la porte au moment où la fée Louise lui assurait talent et bonheur. C’était sans compter sur le coeur de pierre de la sorcière, nullement attendrie.

Elle cria, interrompant la fée :

– « Mais tu mourras pauvre et malade, loin de ta famille, et tes parents seront ruinés pour avoir ignoré Réalité… et tes frères mourront tous à la guerre ! » Satisfaite, elle tourna les talons dans un long et sinistre éclat de rire…

La bonne fée tenta de calmer tous les esprits, terminant ainsi :

– « Mais grâce à ton talent lumineux ton souvenir se perpétuera et restera attaché à celui de ta tendre marraine. »

Sans pouvoir toutefois défaire le sort jeté par la sorcière, qui était tout aussi puissante qu’elle.

Tout le monde oublia bien vite Réalité et ses sombres présages, le comte et la comtesse en premier, et la fête reprit son heureux cours.

Seule la bonne fée Louise s’inquiétait parfois, qui décida de bâtir une très grande maison au bord de la mer turquoise, pour tous les enfants victimes des tourments qu’infligeaient Réalité aux adultes. Les petites filles et les petits garçons qui venaient dans ce paradis retrouvaient sourire, bonne mine et santé…

 

Bonjour à toutes et tous,

Ce texte, rédigé à l’hiver 2016, alors que je balbutiais dans mes recherches, fut pour moi un outil mental pour planter le décor de l’enfance de Kerga. Je le relis ce soir et trouve qu’il vaut mieux que ce que je craignais lorsque je l’avais terminé et laissé au fond d’un dossier de mon vieil ordinateur portable (vénérable ancêtre Acer acquis en 2002… qui fait office de machine à écrire lorsque je suis à bord). Je doutais alors de la pertinence de ce conte autant que de sa tournure. Je suis convaincu aujourd’hui qu’il m’a aidé à construire le jeune Charlick et, même si je n’arrive toujours pas être juge de ses qualités et défauts, j’ai envie de lui donner sa liberté…

A très bientôt

Etienne