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La lettre

Lettre 13, La dépêche de Brest

Lettre 13

La Chaffuste, le 21 mars 2021, début d’après-midi

Bonjour à toutes et tous,

Voilà bien longtemps que je ne vous ai pas écrit de missives, j’ai tout d’abord trop navigué au mois de janvier. Trop, car j’ai effectué deux marées au cours de ce mois, alors que depuis le 1er janvier, j’ai réduit mon taux d’activité navigante de 70% à 50%, ce qui est suffisant pour financer ma reprise d’études. J’ai obtenu dorénavant de ne pas embarquer plus souvent que ce que prévoit mon contrat : une semaine par mois. En février j’ai avancé sur la rédaction de ma thèse, et j’ai pris une semaine de vacances à la Bouline pour m’occuper de trois de mes nièces et neveux, sous une météo absolument idéale, douce comme un printemps, et largement ensoleillée. À propos de printemps, est-ce parce qu’il avait fait du zèle en février qu’il refuse aujourd’hui de faire une entrée en splendeur ? (Il fait gris aujourd’hui… pas beaucoup de vent, pas très froid… juste gris uni… bof, c’était mieux hier.) Ce temps tristounet ne m’a pas donné de courage pour attaquer les quelques tâches inscrites en haut de ma liste : ménage, jardinage, rangement de garage… Je procrastine donc aujourd’hui : ce matin en rédigeant deux pages d’une partie à laquelle j’ai prévu de m’atteler en juin 2022 (pas bien… mais j’avais tellement envie de l’écrire aujourd’hui, ce passage-là ! La visite des Jawlensky-Werefkin à Carantec.) ; cet après-midi en vous écrivant… 

Que puis-je vous raconter ? 

– Pas les traversées de la semaine précédente entre Cherbourg et Poole sur le Cotentin, je ne veux pas prendre le risque de vous rendre malades en vous relatant le comportement erratique, digne d’une barrique, de ce fichu canot dans la grosse houle qui labourait la Manche !

– Peut-être le bonheur retrouvé des voyages en train ; Morlaix-Paris, Paris-Cherbourg… aller puis retour… Lire, regarder le paysage défiler, lire, lire, dormir, lire : Coquelico, délicieux recueil de mots choisis d’Anne Sylvestre ; un Eric Emmanuel Schmitt ; quelques histoires de Prévert, Elisabeth Costello de Coetzee, La nuit du cœur de Christian Bobin.

– L’exaltation d’une journée de recherche très enthousiasmante : début mars, j’étais en train de rédiger la partie qui expose les sources que j’ai utilisées au cours de mes recherches, plus précisément le chapitre qui traite des articles parus dans la presse. J’étais assez content de mon introduction, sur le ton de : « C’est un privilège que de pouvoir détailler chaque article de journal évoquant le travail d’un artiste au 20ème siècle… » car je n’avais alors trouvé qu’une vingtaine d’articles consacrés à Kerga de son vivant. Toutefois, en recherchant la référence de l’un d’entre eux, je réalisai que La Dépêche de Brestavait été numérisée depuis que j’avais fait mes premières recherches. Elle est donc accessible en ligne dans son intégralité, dotée d’un outil de repérage de mots-clefs dans les textes. J’essaie donc le mot-clef « Kerga »… 260 occurrences ressortent de cette recherche ! Cela peut paraître beaucoup, mais c’est en réalité très peu et tout à fait exploitable, car chaque mention est enrichie de données utiles : entre autres la date d’édition du journal et des extraits du texte qui encadrent le mot recherché. Lorsque l’on applique ensuite l’outil de bornage à la période concernée, il reste une quarantaine de réponses, et il suffit de ne pas tenir compte des fractionnements de fin de ligne tel que Kerga-radec, Kerga-diou et autres Kerga-tamignan, il ne reste alors plus qu’une vingtaine d’articles qui concernent réellement l’artiste Kerga. L’une de mes grandes chances au cours de mes recherches est que Kerga est un mot-clef très discriminant, bien plus que je ne l’aurais imaginé… cela compense un peu l’absence presque totale d’archives à son sujet ! Kerga n’est en effet pas un nom, ni de lieu, ni de personne, ni en Bretagne, ni ailleurs.

Revenons à cette vingtaine d’articles, certains sont de véritables pépites ! Le plafond de mon bureau peut en témoigner, marqué qu’il est de mes sauts de joie répétés, si j’avais des voisins proches, ils auraient entendu mes éclats de rire ! Parmi les découvertes que je peux divulgâcher sans remords : le fait que Kerga a exposé par deux fois à la galerie Saluden de Brest, en 1924 et 1926. Cette galerie serait un bien intéressant sujet de recherche. Créée en 1907 par les époux Saluden, elle fut tenue, après le décès de son mari pendant la Première Guerre, par son épouse Anna, seule à la barre. Une femme galeriste, qui a accroché bon nombre d’artistes reconnus aujourd’hui en Bretagne : Maurice Denis, Sérusier, Krebs, Pierre Péron et donc aussi, Kerga…

Pour un artiste qui avait la réputation de n’avoir jamais exposé de son vivant, cela change la donne. J’avais déjà découvert par d’autres biais la tenue de deux expositions personnelles juste après la Seconde Guerre, mais celles-ci sont encore plus marquantes, qui inscrivent le jeune artiste dans un schéma bien plus classique que celui auquel il nous avait habitués.

Au rang des sacrés découvertes de ce jour-là, ce dessin de la venelle au Son de Morlaix, qui illustrait un article de Fañch Gourvil !

La Venelle au Son, dessin de Kerga, tous droits réservés

Les journées de ce type sont rares aujourd’hui, je considère effectivement que j’en ai terminé avec les recherches et que je dois me consacrer à la rédaction, si je veux pouvoir rendre mon tapuscrit dans les temps, au printemps 2023… Je suis donc dans la phase qui me plaît le moins – non qu’elle ne me déplaise – mais il est moins exaltant de décrire jour après jour ce que l’on a découvert, analysé et compris, que de découvrir de nouvelles œuvres et de nouveaux morceaux du vaste puzzle. La motivation dans cette période est la perspective de pouvoir partager les résultats avec vous tous… deux ans encore, c’est long et des journées de découvertes comme l’autre jour apportent un surplus d’énergie toujours bienvenue.

À très bientôt

Etienne

PS : 16h… le soleil arrive enfin 🙂